Historiquement, une surveillance moléculaire des souches de rotavirus en milieu pédiatrique avait été mise en place en prévision de la prochaine disponibilité de vaccins contre rotavirus. Depuis 2004 et surtout l’hiver 2006 nous avons développé un réseau de surveillance épidémiologique et moléculaire des rotavirus comprenant de nombreux CHU et CH répartis sur le territoire. Ce réseau national est connecté à un plus large réseau européen, le réseau EuroRotaNet.
La recommandation de la vaccination contre rotavirus, suspendue en 2015, a été de réintroduite dans le calendrier vaccinal par la HAS le 23 juin 2022. Les deux vaccins oraux historiques, Rotarix (GSK) et Rotateq (MSD France) qui avaient reçu l’AMM en 2006, sont désormais inscrits sur la liste des spécialités pharmaceutiques remboursables à 65% depuis fin 2022. Par conséquent, leurs utilisations, jusqu’ici quasi confidentielles avec une couverture <5% en France, pourraient désormais croître rapidement dans les prochaines années. Dans sa stratégie vaccinale, la HAS recommande tout particulièrement « la poursuite de la surveillance des souches, cruciale pour documenter une éventuelle évolution de la prévalence des souches associées suite à l’introduction de la vaccination contre les infections à rotavirus ». Ce réseau s’inscrit résolument dans ces objectifs.
Les données de SpF montrent que 31% des enfants nés en 2023 et 45% des enfants nés en 2024 ont reçu une vaccination contre rotavirus.
Vingt-quatre centres participent à cette étude depuis 2006 et 13 centres ont pu envoyer des prélèvements pour la saison 2023-2024 : Bordeaux, Dijon, , Lille, Lyon, Montpellier, Nouméa, Orléans, Poitiers, Rouen, Saint-Etienne, Tahiti, Toulouse et Tours.
Au total, 15.135 prélèvements de rotavirus ont été caractérisésentre 2006 et 2024 dont 521 prélèvements pour la saison 2023-24.
Les infections à rotavirus sont saisonnières et surviennent durant les mois d’hiver. Au niveau européen, nos études avec le réseau EuroRotaNet montrent un gradient Sud-Nord et Ouest-Est avec un pic d’infections plus précoce en Espagne (décembre à février) et plus tardif (avril-mai) dans les pays du nord et de l’est de l’Europe. En France, le pic d’infections de la saison 2023-24 était plutôt étalé avec une circulation virale lentement ascendante avant de s’accélérer pour atteindre un pic entre mars et avril, avec une activité épidémique inhabituellement élévée au mois de septembre et d’octobre.
Globalement, depuis le début de la surveillance des infections à rotavirus, il y a peu de différence d’une année à l’autre puisque le pic des infections a lieu en mars pour 10 (55,5%) saisons de 2006 à 2024, en février pour 4 (22,2%) saisons en 2007-08, 2016-17, 2019-20 et 2021-22, et en avril pour 4 (22,2%) saisons en 2006-07, 2018-19, 2020-21 et 2022-23. Les mois les plus importants sont février-mars-avril pour 10 saisons (2006-07, 2009-10, de 2011-12 à 2015-16, 2017-18, 2018-19 et 2023-24), janvier-février-mars pour 6 saisons (2007-08, 2008-09, 2010-11, 2016-17, 2019-20 et 2021-22). En revanche, les mois les plus importants sont mars-avril-mai pour 2 saisons (2020-21 et 2022-23) ce qui est plus tardif que ce qu’il a été observé depuis 2006.
Le recueil des prélèvements sur l’ensemble des saisons 2006-2007 à 2023-2024 est de 15.135 souches de rotavirus dont 320 partiellement caractérisées et 423 non typables (Tableau 8). Les quatre principales combinaisons de génotypes G/P ont été durant ces dix-neuf années : G1P[8] (38,7%) suivie de G9P[8] (27,5%), cumulant à elles seules près des deux tiers des souches détectées (66,2%), puis G3/G3eP[8] (19,9%) et G2P[4] (5,5%). Les autres combinaisons d’importance significative étaient G12P[8] (3,2%) et G4P[8] (1,7%). (En termes de moyennes des fréquences saisonnières depuis 2006 : G1P[8] = 35,2% ; G2P[4] = 5,4% ; G3/G3eP[8] = 22,6% ;G4P[8] = 1,5% ; G9P[8] = 25,9% ; G12P[8] = 3,5% ; souches atypiques = 1,5% ; typages partiels = 2,3%)
Ainsi, les six combinaisons génotypiques désormais classiques (G1/G3-G3e/G4/G9/G12P[8] et G2P[4]) représentaient 96,4% des souches caractérisées. Les génotypes ou combinaisons atypiques (incluant notamment quelques associations de génotypes G et P classiques) représentent 2,1 % et les infections mixtes 1,5%.
L’analyse séparée des génotypes G montre une répartition des souches semblable à celle observée pour les combinaisons G/P. Les génotypes G inhabituels détectés en France en 2023-2024 étaient limités à une souche G6 (2 souches, 0,2%). Aucun génotype G5, G8 ou G10 (souches d’origine bovine) n’a été caractérisé durant la saison 2023-2024.
LLes faits marquant de cette saison 2023-2024 sont la forte circulation des rotavirus G3/G3e avec une fréquence globale de 90,0% (459 souches) dont essentiellement des rotavirus G3e (80,2% ; 450 souches), la circulation faible des rotavirus G1 et G2 avec des fréquences respectives de 4,5% (23 souches) et 3,3% (17 souches), et la circulation anecdotique des rotavirus G9 et G12 avec des fréquences respectives de 1,0% (5 souches) et 0,6% (3 souches).
Les génotypes P sont peu diversifiés et très largement dominés par le génotype P[8] avec globalement 92,5% entre 2006-2024 et 99,1% en 2023-24, alors que le génotype P[4] représente globalement 6,5% entre 2006-2024 et 0,5% cette dernière saison. Ce résultat concernant le génotype P[4] sera à considérer dans le suivi des effets de la vaccination même si les dernières données montrent que les variations sont essentiellement dues à une fluctuation naturelle saisonnière. À noter que 14 des 17 souches G2 sont des souches G2P[8].
Entre 2006 et 2023, les génotypes atypiques en France étaient représentés par P[3], P[5], P[6], P[9], P[14] et P[41] ce qui représentait 136 (1,1%) souches. Durant la saison 2022-23, nous avons détecté les génotype P[6] (3 souches) et P[9] (1 souche), soit 0,8% du total des souches caractérisées.
La constance et l’hégémonie de la prévalence du génotype P[8] entre 2006 et 2024 est rassurante et doit être soulignée s’agissant de l’efficacité de la vaccination puisque les deux vaccins commercialisés possèdent cette valence antigénique dans leur composition.
Variabilité géographique des génotypes de rotavirus :
Nous avions montré dans les précédents rapports qu’il existait une variabilité géographique, selon les centres. Néanmoins, nous retrouvons lors de cette saison 2023-24 une faible variabilité géographique pour les villes de métropole conséquence de la forte prévalence des souches G3eP[8] avec des fréquences de détection allant de 33,3% (Lille) à 100% (Poitiers) sur la totalité des centres métropolitains. Hors métropole, des souches habituelles sont encore responsables de la majorité des GEA alors qu’elles ne circulent quasi pas en métropole : à Nouméa, les G3eP[8] sont absentes et ce sont les souches G9P[8] qui prédominent encore (66,7%) ; à Tahiti, malgré une fréquence de détection des G3eP[8] de 30,8%, ce sont les souches G1P[8] qui prédominent (46,2%). La circulation des autres souches classiques est plus anecdotique. En revanche, la circulation des souches inhabituelles G2P[8] se retrouvent dans plusieurs centres : Lyon, Saint-Etienne, Tahiti, Toulouse et Tours.
L’évolution des génotypes G/P durant cette période de surveillance est marquée par de grandes variations saisonnières.
Évolution des génotypes G/P « classiques » :
─ lle génotype G1P[8] : relativement stable depuis près de 9 ans, il a vu sa fréquence chuter avec la réémergence des G9P[8] puis des G3/G3eP[8] (entre 53,0% et 73,1% entre 2005 et 2015 ; entre 9,0% et 16,8% en 2015 et 2019 ; et seulement entre 6,0 et 11,7% depuis 2019-20). Ce phénomène a déjà été observé en 2004-05 mais il n’avait duré qu’une seule saison.
─ le génotype G2P[4] évolue de façon cyclique selon les saisons, oscillant entre 0,4% et 17,2% en fréquence. Au cours de la dernière saison 2024-25, on notera son plus bas niveau de fréquence depuis 20 ans avec seulement 0,4% des souches génotypées mais surtout l’apparition de souches G2P[8] en nombre inhabituel qui représentent 2,7% des souches génotypés au cours de la saison.
─ le génotype G3P[8] : jusqu’ici sa fréquence restait relativement faible avec quelques pics de détection supérieur à 10% au cours des saisons 2002-03, 2003-04 et 2011-12. Les saisons 2017-18 et 2018-19 indiquaient une probable réémergence de ce génotype qui s’est confirmée au cours de la saison 2019-20, en particulier du fait de l’émergence de la souche G3e equine-like qui représentait en 2023-2024 près de 4 souches sur 5.
─ lle génotype G4P[8] circulait à bas niveau depuis plus de 20 ans avec un maximum à 19,8% au cours de la saison 2002-03. Les souches G4P[8] ne sont plus détectées depuis 6 saisons.
─ le génotype G9P[8] : après sa brutale émergence en 2004-05 (65,0%), sa fréquence diminuait régulièrement de 25,1% à 6,3% en 2012-2013. Sa réapparition à un taux élevé au cours des saisons 2013-14 et 2014-15 (22,0% puis 32,1%) puis sa réémergence au cours des saisons 2015-16 et 2016-17 (64,1% et 74,1%, respectivement) et son maintien à des fréquences élevées au cours des saisons 2017-18 et 2018-19 (45,9% et 51,0%) laissaient des interrogations quant à sa circulation et son évolution d’autant que cette forte prévalence semble concerner plus particulièrement la France à contrario des pays européens voisins. Après un regain de circulation au cours de la saisons 2020-21, G9P[8] n’a que peu circulé au cours de la saison 2023-24 avec une fréquence de seulement 1,0%.
─ lle génotype G12P[8] : son émergence récente (4,2% en 2011-12 et 3,0% en 2012-13) laissait penser qu’il deviendrait l’un des six génotypes importants en France. Après quelques saisons creuses (0,6% à 2,8% de détection), ce génotype a été détecté à une fréquence particulièrement élevée de 19,5% (52 souches) en 2019-20 confirmant la persistance et l’accélération de la circulation des rotavirus G12 en France. Cependant, sa circulation subit d’importantes variations saisonnières avec, au cours de la dernière saison, une fréquence très faible de 0,6%.
Évolution des génotypes ou combinaisons atypiques :
─ les génotypes atypiques sont les génotypes G6, G8, G10, G15, P[1], P[3], P[5], P[6], P[9], P[14] et P[41]. Sur l’ensemble de l’étude, elles représentent 192 souches (1,3%) dont 3 (0,6%) en 2023-24. Parmi ces génotypes inhabituels, le génotype P[6] est le plus important (107 souches au total). Certaines souches peuvent être d’origine animale, notamment bovine et caprine. Il s’agissait pour la dernière saison des 4 souches suivantes : G2P[6] (1), G6P[8] (1), G6P[14] (1) et GUDP[5] (1). Bien que non détectées cette saison, les souches G8P[8] restent à surveiller car elles pourraient émerger dans les prochaines saisons à l’instar des G9P[8] (2004-05) et G12P[8] (2011-12). Cette combinaison génotypique montre l’adaptation des souches G8 à l’homme.
─ les combinaisons atypiques, par exemple G2 associé à P[8] ou G1, G3, G4, G9 ou G12 associés à P[4] représentent 0,6% des souches détectées de 2006 à 2024, et 2,5% des souches avec 13 souches G2P[8] au cours de la saison 2023-24.
.
La surveillance épidémiologique des souches de rotavirus a été effectuée en France en dehors de toute pression vaccinale suffisante. En effet, la couverture vaccinale reste encore très faible en 2023 malgré la recommandation et le remboursement des vaccins contre rotavirus (Rotarix® (monovalent, GSK) et Rotateq® (pentavalent, Merck) en 2022. Il est encore trop tôt pour observer les effets de la vaccination dans la population française.
La distribution saisonnière des épidémies de gastro-entérites à rotavirus s’étale en France principalement entre décembre et avril avec de faibles variations selon les saisons. On observe au cours de cette saison 2023-24 une hégémonie des souches G3eP[8] et l’apparition de souches inhabituelles G2P[8] qui seront à surveiller. Depuis 2001, on observe depuis 2001 :
─ la prédominance du génotype G1 à l’exception de la saison 2004-05 et depuis la saison 2015-16.
─ l’émergence de nouveaux génotypes :
- le génotype G9 est devenu depuis la saison 2004-25 un génotype « classique » avec G1, G2, G3 et G4. Il a réémergé au cours de la saison 2015-26. Sa circulation est en nette régression depuis la saison 2022-23.
- le génotype G12 a émergé au cours de la saison 2011-12 mais de manière moins « brutale » que pour les G9P[8]. Ce génotype circule de manière régionale en France mais a connu une brève augmentation de sa circulation (19,9%) au cours de la saison 2019-20. Sa circulation est en nette régression au cours de la saison 2023-24.
- le génotype G3 equine-like (G3e) a émergé progressivement au cours de la saison 2017-18 jusqu’à devenir prépondérant au cours des dernières saisons, et représenter 4 souches sur 5 au cours de la saison 2023-24.
─ lla variation cyclique des génotypes G2 dont la nouvelle souche G2P[8] qui sera à surveiller lors des prochaines saisons.
─ la variation cyclique des génotypes G3 dont la réémergence au cours de la saison 2017-18 à laisser place au G3eP[8].
─ la disparition des G4 depuis 6 saisons consécutives.
─ la stabilité de la fréquence des souches inhabituelles (notamment le génotype P[6]) et l’existence, parmi celles-ci, de souches d’origine animale infectant les enfants.
Outre cette variabilité saisonnière des génotypes, il existe une grande variabilité géographique. Variabilité selon les centres en France et quelle que soit la saison. Cette variabilité est également retrouvée au niveau des pays européens.